Les mathématiques ont-elles un sexe ?

Les mathématiques ont-elles un sexe ?

filles et maths
Organisées par les associations Femme et mathématiques et Animath, les journées “Filles et maths” ont pour but d’inciter les filles à s’orienter vers les filières scientifiques, notamment les mathématiques et l’ingénierie. Après le succès des sessions de fin 2015, voici les nouveaux rendez-vous prévus début 2016
Depuis huit ans, les associations Animath et Femmes & mathématiques, à travers leurs fondateurs, Martin Andler, Président d’Animath, et de Véronique Slovacek-Chauveau, vice-présidente de Femmes & mathématiques,  sensibilisent collégiennes, lycéennes et étudiantes aux stéréotypes qui persistent sur la place des femmes et les opportunités qui leur sont offertes dans les carrières liées aux mathématiques. De septembre à décembre 2015, plus de 500 jeunes filles ont assisté et participé activement aux sessions, en Ile-de-France et en région. Une mobilisation sans précédent qui indique une amorce de changement des mentalités et une volonté des jeunes filles de bouger la donne et bannir les héritages anciens d’une représentation sexiste de la société auxquels les femmes commencent à peine à échapper.

Les Mathématiques ont-elles un sexe ?

S’il est un préjugé largement répandu, c’est bien celui que les mathématiques sont l’apanage des hommes, voire aux antipodes de ce que l’on appelle “l’éternel féminin”. John Ernest dans son fameux “Sexe et Maths” de 1976 à l’Université de Santa Barbara disait : “La littérature sur les différences de capacités en maths entre les sexes est énorme… les résultats sont très divers et souvent confus…la plupart mettent en cause l’influence de la culture et de l’environnement plutôt que des différences biologiques intrinsèques”.
Illustration : Affiche du film « Mon cerveau a-t-il un sexe ? » de Laure Delesalle ( Prix des Lycéens Festival Pari science 2010)
La Terre tourne, mais les idées préconçues ont encore aujourd’hui la peau dure. Pour celles qui, malgré tout, choisissent les mathématiques, peu d’entre elles entrent dans les filières techniques et scientifiques, peu dans les métiers scientifiques, en particulier en mathématiques ; c’est de ce constat et de la volonté d’y remédier qu’est née en 1987 l’association Femmes et mathématiques. En effet, les filles représentent 46% des bacheliers S, mais seulement 40% des bacheliers S en spécialité mathématiques… et 17% à Polytechnique. Dès les classes prépas scientifiques, le taux de féminisation chute cruellement, de même en école d’informatique ou école d’ingénieur postbac. Un comble alors que plus que jamais, les écoles d’ingénieurs et les filières scientifiques veulent éveiller les vocations féminines et empêcher la fuite des talents vers l’étranger, face aux innovations technologiques, scientifiques, artistiques,… qui fleurissent partout sur la planète.
Le mystère reste entier : comment expliquer cette désaffection féminine pour les carrières scientifiques ? Deux chercheurs, Pascal Huguet et Isabelle Régner, se sont penchés sur la question, partant de l’hypothèse que la réputation dont souffrent les femmes en mathématiques a un impact psychologique sur les filles et leurs résultats scolaires. Claude Steele s’était déjà interrogé, aux États-Unis, sur le fait que les femmes obtenaient de moins bons résultats en mathématiques lors des tests utilisés pour l’admission à l’université. Il avait conclu, en recréant cette situation en laboratoire, que si l’on présente les tests de façon neutre, les femmes se montrent aussi performantes que les hommes. Les femmes ont intégré une telle représentation sociale négative des maths qu’elles sont persuadées de ne pas être faites pour ça.
S’inspirant des travaux de Steele, Pascal Huguet et Isabelle Régner ont ainsi demandé à plusieurs centaines d’élèves des deux sexes, en sixième et cinquième, de réaliser une figure, en présentant l’épreuve comme de la géométrie dans un premier groupe et comme du dessin dans le second. Les filles du groupe « géométrie » ont obtenu un score inférieur à ceux des garçons, alors qu’on constate un résultat inverse dans le groupe « dessin », où la palme revient aux demoiselles. C’est donc la simple idée de devoir mobiliser des compétences mathématiques, pour lesquelles elles sont réputées inférieures, qui déstabilise les filles, c’est-à-dire la peur même de se conformer aux stéréotypes véhiculés par notre société ! Le handicap n’est donc pas biologique,
mais psychosocial… Et si l’éducation était dans le collimateur ?
Parallèlement, aujourd’hui, grâce aux nouvelles techniques d’imagerie cérébrale qui permettent d’observer le cerveau en plein fonctionnement, des expériences ont démontré que les calculs arithmétiques stimulent le cortex frontal gauche ainsi que les aires pariétales gauche et droite et ce, indépendamment du sexe des sujets. La neurobiologiste Catherine Vidal insiste également sur le fait qu’« une fonction n’est jamais assurée par une seule région mais plutôt par un ensemble de zones reliées entre elles en réseau » et qu’à performance égale, chaque individu confronté à un problème a sa propre « façon de penser », d’activer son cerveau pour atteindre la solution. La plupart des études d’imagerie concluent à l’absence de différences significatives entre les deux sexes pour mettre plutôt l’accent sur d’importantes variations individuelles au sein d’un même sexe.

Livre de Dorothée Benoit-Browaeys et Catherine Vidal “Cerveau, sexe et pouvoir”, éd. Belin, 2005

Voir reportage FranceTV “Mathématiques : comment les idées reçues changent-elles le cerveau des filles ?”

Des actions militantes

L’association Femmes & mathématiques compte actuellement environ cent cinquante membres, pour l’essentiel des mathématiciennes travaillant à l’Université ou dans des organismes de recherche et des professeurs de mathématiques de l’enseignement secondaire ou de classes préparatoires mais aussi des sociologues, des philosophes et des historiennes s’intéressant à la question des femmes dans les milieux scientifiques. Ses principaux objectifs : encourager la présence des filles dans les études mathématiques et plus généralement scientifiques et techniques, agir pour la parité dans les métiers des mathématiques et pour le recrutement de plus de femmes en mathématiques dans les universités, sensibiliser la communauté scientifique et éducative à la question de l’égalité femme/homme et, enfin, être un lieu de rencontre entre mathématiciennes.
Avec Animath, elle poursuit l’action de sensibilisation des collégiennes, lycéennes et étudiantes de France aux opportunités de carrières qui s’offrent à elles dans les mathématiques. Ces journées “Filles et Maths” font pointer du doigts les stéréotypes persistants et la façon dont ils pèsent sur les choix d’orientation des élèves et étudiantes. Objectif : encourager un maximum d’entre elles à oser poursuivre leurs études après le Bac dans des filières mathématiques encore largement « masculines ».
Une centaine de places sont ouvertes à chaque session. Les jeunes filles s’inscrivent de leur propre initiative ou sur les recommandations de leurs enseignant(e)s. Une communication est assurée auprès des inspecteurs pédagogiques de l’académie. La participation est gratuite.
Pour plus d’information et s’inscrire aux prochaines sessions : www.animath.fr ou www.femmes-et-maths.fr
Parmi les temps forts de la journée :
- Un atelier-débat sur les mots et images pour définir les maths
- Une promenade mathématique
- Un théâtre forum où les jeunes filles mettent en scène et font vivre les stéréotypes qu’elles ont mis en évidence via les ateliers
- Des speed meetings entre les jeunes filles et une dizaine de professionnelles qui viennent présenter leur métier et leur parcours d’études
PROCHAINES DATES
En Ile-de-France :
le 17 février 2016 à l’Institut Galilée à Villetaneuse (93) pour les jeunes filles scolarisées en classe de Troisième et Seconde de Seine St Denis
• le 10 mars 2016 à l’Ecole Polytechnique à Palaiseau (91) pour les jeunes filles scolarisées en classe de Première S et Terminale S scolarisées en Ile de France
En Régions :
• le 17 mars 2016 à Lyon pour les jeunes filles scolarisées en classe de Première S de l’académie de Lyon D’autres dates seront prochainement fixées en mars, avril et mai à Nevers, Bordeaux, Toulouse et Montpellier.

Une recherche sportive

Des maths pour courir plus vite

Par Soline Roy – le 28/05/2014
Des chercheurs français ont élaboré un système d’équations capable de prédire la meilleure stratégie de course possible pour un coureur, en fonction de sa physiologie.

Achille ne rattrapera jamais la tortue, les paradoxes du philosophe grec Zénon d’Élée nous le disent depuis 2500 ans. Mais Achille peut progresser: les équations de deux mathématiciens français lui permettraient d’optimiser sa vitesse et l’énergie dépensée en courant.

Amandine Aftalion ne court pas, elle nage. Et lorsqu’elle nage, la directrice de recherche CNRS au laboratoire de mathématiques de Versailles (université de Versailles-Saint-Quentin) réfléchit. Il y a trois ans, en plein dos crawlé, elle a songé à ses lectures sur la physiologie du sport et a pensé que «les mathématiques devaient pouvoir expliquer la physiologie de l’exercice».

La physique en équations

Joseph Keller, de l’université de New York, avait tâté le terrain dans les années 1970 et défini une course de fond idéale, en trois temps: brusque accélération, vitesse constante pendant la majeure partie de la course, puis décélération finale. Mais Keller et ses successeurs se basaient sur des valeurs moyennes, omettant que vitesse et capacité respiratoire varient lors d’une course.

Avec Frédéric Bonnans, directeur de recherches Inria au centre de mathématiques appliquées (École polytechnique), Amandine Aftalion a donc mis en équations les bases de la physique. Principe numéro un: rien ne se perd, rien ne se crée ; faire la somme des énergies disponibles (oxygène et glucose, pour faire simple) permet donc de savoir ce que l’on peut dépenser. Principe numéro deux, la variation de la vitesse est égale à la somme des forces en présence. «On nomme toutes les variables, on écrit les équations et on calcule», résume la chercheuse.

Varier sa vitesse pour courir longtemps

Son modèle mathématique confirme une réalité bien connue des coureurs: varier (un peu) sa vitesse permet de courir plus longtemps, chaque décélération permettant de restocker un peu d’énergie pour accélérer de plus belle. Ces variations sont inconscientes, mais une prise de mesures tous les 50 ou 100 mètres montre que la vitesse de course oscille, par exemple entre 5,5 et 6,5 mètres par seconde lors d’un 1 500 mètres. Oscillations qui permettent au coureur de garder un peu d’énergie pour mieux finir sa course… ou pour aller plus loin. Selon l’étude bientôt publiée dans le Journal of Applied Mathematics (et déjà disponible sur les archives ouvertes HAL), le gain offert par une variation optimale de la vitesse serait de 0,7 % du temps de course sur 800 mètres. Ces équations font aussi de l’ordinateur un véritable coach sportif, plus performant que les outils d’automesure qui inondent le marché.

Prenez donc la capacité respiratoire (VO2max) et le stock d’énergie anaérobie (due à la transformation des sucres) d’un coureur ; ajoutez-y sa vitesse maximum, ses capacités d’accélération, sa force de propulsion et les forces de frottement auxquelles ses muscles sont soumis. Quelques courses types permettront au logiciel de calculer ces paramètres, propres à chacun. Muni de ces variables (et partant du principe que le coureur… avance!), le système nous indique quelles capacités développer pour cavaler comme un champion, et comment courir au mieux sur une distance donnée. L’ordinateur donnera donc à l’amateur ce qu’un bon coach et l’expérience apportent aux champions. Plus prosaïquement, le sportif saura aussi combien de calories il a exactement dépensées lors de son effort.

Amandine Aftalion admet tout de même que «pour résoudre plusieurs équations en même temps, il faut disposer de techniques de résolution numérique très avancées». Proposer son système aux coureurs du dimanche supposera donc de trouver des partenaires industriels, pour développer un programme capable de tourner sur l’ordinateur d’Achille. Qu’il puisse enfin doubler cette satanée tortue.

 Travaux d’Amandine Aftalion, partiellement en collaboration avec F. Bonnans sur la modélisation mathématique de la physiologie de la performance pour ceux qui veulent en savoir plus un exemple de travaux en Français

Amandine Aftalion

CNRS Research Director

Professor at Ecole Polytechnique

Office 3308 (Building Fermat)
Email amandine.aftalion AT uvsq.fr
Tel +33 1 39 25 46 39  Fax +33 1 39 25 46 45

A partir d’équations mathématiques,  nous avons développé avec  F.Bonnans,  chercheur à l’inria, un modèle qui est  capable de prédire comment doit se dérouler la course optimale, une fois qu’on a décidé de la distance à parcourir. Nous savons calculer à chaque instant, la vitesse que doit avoir le coureur et l’énergie qu’il a dépensé depuis le début de la course. Pour des courses allant du 400m au marathon, nos résultats amènent en particulier à 2 conclusions qui renforcent certaines observations physiologiques :

* le negative split: il vaut mieux courir la 2ème partie de la course plus vite que la première
*il faut varier sa vitesse, ce qui permet de gagner par exemple 0.7% sur 800m. En effet, quand on ralentit, on recrée un peu d’énergie, ce qui permet d’améliorer son temps de course.

Sur les marathons par exemple, les coureurs sont invités à choisir une couleur en fonction de leur temps de course espéré (2h30, 3h, 4h, 5h etc). Cette couleur est associée à un ballon ou lièvre qui va se déplacer à vitesse constante pour arriver à la fin de la course dans le temps escompté. Et pourtant, tout coureur qui a couru un marathon s’est rendu compte qu’il avait envie de varier sa vitesse, en accélérant puis ralentissant. Oui, c’est normal, c’est ainsi que l’organisme arrive à régénérer un peu d’énergie.

Comment arriver à calculer à chaque instant la vitesse et l’énergie disponibles pour un coureur? Cela nécessite un système d’équations différentielles, c’est-à-dire des équations reliant la vitesse (et sa dérivée l’accélération), la force de propulsion, les forces de frottement et l’énergie. Les équations reposent sur le principe fondamental de la dynamique et des bilans d’énergie faisant intervenir notamment VO2max, la consommation maximale d’oxygène du coureur, et les liens de contrôle entre ces variables : par exemple, la recréation d’énergie quand on ralentit. Pour être bien posé, le système est couplé à des conditions initiales (vitesse nulle et énergie donnée au départ) et des contraintes : l’énergie doit rester positive, la force de propulsion aussi (on ne recule pas !) et cette force est bornée par les capacités limitées du coureur ; enfin la dérivée de cette force de propulsion est bornée aussi car les informations ont besoin de temps pour passer du cerveau à la jambe : le coureur ne peut pas instantanément comme un ordinateur, passer d’une force de propulsion maximum à l’arrêt complet. Le travail de modélisation consiste à bien poser ce système. Mathématiquement, nous arrivons à prouver des théorèmes sur le comportement des solutions. En particulier, quand on rajoute un terme de recréation d’énergie due au ralentissement, on se rend compte que cela crée des termes concaves dans le hamiltonien qui sont à l’origine des oscillations de vitesse. Enfin, numériquement, nous sommes capables de résoudre ce système d’équations pour calculer les valeurs de toutes les variables intéressantes pour le coureur et les relier aux mesures physiologiques. Nos simulations numériques nécessitent une programmation complexe et jamais réalisées sur ce type d’exemples. Elles utilisent le logiciel  Bocop ( voir http://bocop.org/ pour les très curieux) , qui nous a permis de résoudre le système d’équations différentielles couplées, sous contraintes, et avec contrôle optimal.

A quoi cela pourrait-il servir ? On se pose souvent la question de : à quoi servent les mathématiques? Les  applications en sont pourtant immenses. Dans le cas de la course à pied, on pourrait, à partir des équations que nous avons établies, imaginer un logiciel qui calcule sur un smart-phone
*la vitesse optimale de course et donne des indications au coureur sur des bases scientifiques
* la dépense énergétique et permet de voir comment elle aurait pu être meilleure. On peut alors savoir exactement le nombre de calories perdues lors d’une course, et pas avec une estimation moyenne comme le font tous les calculs actuels, mais véritablement avec un calcul exact instantané.

A gauche : sur un 1500m, profil de vitesse sans prendre en compte la recréation d’énergie quand  on ralentit (on tient juste compte de la chute du VO2max en fin de course quand la réserve d’énergie anaérobie est trop faible)

A droite : quand on prend en compte la recréation d’énergie en ralentissant, la vitesse oscille.

Record du monde sur 800m, JO Londres 2012 (D.Rudisha): mesures de vitesse moyenne tous les 100m (carrés rouges) en m/sec comparées au calcul moyenné tous les 100m (étoiles bleues).

et non il y en a plein d’autres que Sophie Germain….quelques exemples

Malgré le prix Poincaré attribué à deux mathématiciennes cet été,  les femmes ont du mal à se faire une place dans le monde des mathématiques fondamentales. La parité est lente à se mettre en place et le déséquilibre hommes-femmes s’aggraverait même.

La parité a du mal à s'installer au sein du monde des mathématiques, encore dominé par les hommes. Superstock/Superstock/SIPALa parité a du mal à s’installer au sein du monde des mathématiques, encore dominé par les hommes.

 

PARITE. L’été dernier, deux jeunes mathématiciennes françaises étaient récompensées par le prestigieux prix Henri Poincaré, mais ces exemples emblématiques masquent, selon plusieurs mathématiciennes interrogées par l’AFP, l’absence persistante de parité dans cette discipline.

Les deux lauréates, Nalini Anantharaman (Laboratoire de mathématiques d’Orsay), 36 ans, et Sylvia Serfaty (Laboratoire Jacques-Louis Lions), 37 ans, sont issues de la même promotion à l’École normale supérieure (1994).

“Il y a une école française remarquable et il y a des femmes remarquables dans cette école française”, convient Aline Bonami, présidente de la Société mathématique de France (SMF). Professeur émérite depuis 2006, cette mathématicienne n’est pas pour autant optimiste quant à l’avenir des femmes en mathématiques, en particulier en “maths pures” ou fondamentales.

“La situation est en train de s’aggraver, alors que dans toutes les autres disciplines la tendance est à avoir davantage de femmes, même si l’évolution est plus ou moins lente”, confirme Laurence Broze, présidente de l’association Femmes et Mathématiques, qui célèbre cette année un quart de siècle d’existence.

Directrice de l’UFR de Mathématiques à l’Université de Lille 3, Laurence Broze dégaine des chiffres: “Il reste aujourd’hui une trentaine de femmes professeurs de mathématiques pures” – contre quelque cinq cents hommes – moitié moins qu’à la meilleure époque.

20-80. En mathématiques appliquées (qui s’intéressent à des problèmes venant d’autres sciences) les femmes tirent un peu mieux leur épingle du jeu, mais cela ne suffit pas à faire bouger les lignes. “Toutes disciplines et grades confondus, on a à l’université 40% de femmes pour 60% d’hommes. En mathématiques, c’est 20% de femmes pour 80% d’hommes”, relève Laurence Broze.

 

“Extra-terrestre” ou “garçon manqué”

 

Les femmes n’auraient-elles pas la bosse des maths ? Il faut plutôt chercher ailleurs les raisons de cette inéquation. Et d’abord dans le poids des stéréotypes. Nalini Anantharaman, qui a cumulé l’annonce de son prix et la naissance de son second enfant, pointe “l’image des femmes dans la société”. “Une femme mathématicienne, c’est soit un extra-terrestre, soit un garçon manqué”, analyse-t-elle. Les parents, puis les enseignants, ont un rôle essentiel à jouer pour surmonter cet obstacle, selon elle.“On sait qu’à niveau égal, les filles se sous-estiment”, renchérit Sylvia Serfaty.

DÉCROCHEMENT. Autre explication, le “manque de modèles” féminins, renchérit Laurence Broze. Mais il y a surtout des causes spécifiques à la discipline. Les mathématiciennes interrogées citent en premier lieu la règle de la mobilité instituée par la communauté: chaque promotion – maître de conférence, professeur – nécessite un changement de lieu.

“En mathématiques, la période dont on dit qu’elle est la plus féconde, c’est entre vingt et trente-cinq ans”, explique Laurence Broze. On devient professeur plus tôt que dans d’autres disciplines, à un moment où le compagnon assoit sa propre carrière ou quand arrivent les enfants. “Il y a des petits décrochements de carrière qu’on paie et qui ne se rattrapent pas forcément”, ajoute Sylvia Serfaty.

MODÈLES. Contre toute attente, Aline Bonami estime qu’un modèle masculin comme Cédric Villani peut être un atout. “Le fait qu’il se présente hors des sentiers ordinaires sous certains aspects montre qu’il y a un espace de liberté dans notre métier”.

 

LE MONDE | | Par Stéphane Foucart

La mathématicienne Laure Saint-Raymond, à Paris, le 15 juin.
La mathématicienne Laure Saint-Raymond, à Paris, le 15 juin. | AFP/MIGUEL MEDINA

La discrète scientifique de 39 ans, benjamine de l’académie des sciences, est l’une des plus brillantes de sa génération

Un jour, en classe de première, Laure Saint-Raymond a obtenu la note de 14 sur 20 à un devoir de mathématiques. Le visage marqué par la stupeur et l’incrédulité, le professeur – un polytechnicien qui avait choisi l’enseignement – lui rendit sa copie en confessant ne pas comprendre ce qui avait pu se produire. L’événement fut si exceptionnel qu’il demeure imprimé dans la mémoire de ses camarades de classe (parmi lesquels l’auteur de ces lignes) : jamais l’intéressée n’avait connu un écart aussi extravagant avec la note maximale. Personne, d’ailleurs, n’avait jamais pensé que ce fût un jour possible.

Cette minuscule entorse à la perfection n’a pas dû se reproduire souvent dans la carrière de Laure Saint-Raymond. Une vingtaine d’années plus tard, elle est, à 39 ans, reconnue par ses pairs comme une des mathématiciennes les plus brillantes de sa génération. Normalienne et d’abord recrutée par le Centre national de la recherche scientifique, elle est nommée professeure à l’université Pierre-et-Marie-Curie, à 26 ans, âge où le commun des mortels peut espérer soutenir une thèse. Elle est, depuis 2007, directrice adjointe du département mathématiques et applications de l’Ecole normale supérieure de la rue d’Ulm, à Paris. Elle est aussi la benjamine de l’Académie des sciences, élue, fin 2013, à l’âge de 38 ans.

Un choix tardif

Malgré ce qui ressemble bien à une sorte de prédestination (ses parents enseignent les mathématiques), Laure Saint-Raymond n’a choisi que tardivement la voie des maths. « Je me suis finalement décidée le jour où je me suis lancée dans ma thèse, mais j’ai longtemps pensé à faire plutôt carrière dans la musique », dit-elle.

Au lycée, elle venait parfois avec son violoncelle. L’étui était presque aussi grand qu’elle. Ses camarades la harcelaient copieusement pour qu’elle accepte de jouer, au beau milieu de la cour. Par pudeur peut-être, elle refusait obstinément, et n’a cédé qu’une seule fois, pour exécuter les premières mesures d’une suite de Jean-Sébastien Bach qui ont suffi à persuader son auditoire qu’elle était certainement aussi douée avec un violoncelle que devant une équation. « J’ai eu le bonheur de jouer une fois avec elle, raconte le mathématicien Jean-Yves Chemin (université Pierre-et-Marie-Curie), qui fut aussi l’un de ses professeurs. Je puis vous dire qu’elle est une musicienne merveilleuse. »

Maths et sciences de la matière

Le domaine de recherche de Laure Saint-Raymond est un monde où se chevauchent les mathématiques et les sciences de la matière. Où les lois de la nature s’incarnent dans de cabalistiques équations qui deviennent, en elles-mêmes, des objets mathématiques pourvus d’une vie autonome, et dont les propriétés racontent les réalités cachées du monde physique. L’une de ses contributions récentes, conduite notamment avec le mathématicien François Golse (Ecole polytechnique), a été de chercher à retrouver, à partir des lois régissant le mouvement individuel de particules microscopiques, les équations qui décrivent l’écoulement d’un fluide macroscopique.

L’exercice peut sembler parfaitement abscons au béotien, mais il nargue les matheux depuis un certain temps. En 1900, au Congrès international des mathématiciens, l’Allemand David Hilbert (1862-1943) déclarait déjà qu’il fallait chercher « des méthodes fondées sur l’idée de passage à la limite qui, de la conception atomique, nous conduisent aux lois du mouvement des milieux continus »

 Une discipline sans esbroufe

Avec la mathématicienne Isabelle Gallagher (université Paris-Diderot-Paris-VII), Laure Saint-Raymond s’est penchée sur des problèmes en apparence plus terre à terre, mais tout aussi diaboliquement difficiles. « Isabelle et Laure ont travaillé sur des modèles de circulation océanique, sur la difficulté à y intégrer la force de Coriolis , dit Jean-Yves Chemin. Auparavant, nous étions capables de décrire les choses aux latitudes moyennes ; elles sont parvenues à traiter mathématiquement ce qui se produit au voisinage de l’équateur. Le travail qu’elles ont mené sur ce sujet est magnifique. »

Comment une femme jeune perce-t-elle dans un monde plutôt dominé par des hommes âgés ? La chance des mathématiciennes est peut-être qu’elles naviguent dans une discipline où l’esbroufe n’est pas possible. « Je n’ai jamais ressenti la moindre discrimination, dit-elle. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de problèmes : en maths, nous sommes loin de la parité. A Normale, nous étions six filles sur les quarante étudiants de ma promotion et c’était, de ce point de vue, une situation plutôt exceptionnelle. Ces dernières années, il y a plutôt une ou deux filles par promotion, guère plus. »

Pourtant, elle ne mâche pas ses critiques devant certaines mesures prises pour favoriser l’accès des femmes aux mathématiques. Un jour, à la cérémonie de remise d’un prix scientifique, un ministre explique qu’il va imposer la parité aux comités de sélection – pensant peut-être que ces comités fonctionnent sur un modèle simple où les hommes choisissent des hommes et les femmes, des femmes. « Je lui ai dit que c’était la mesure la plus contre-productive qu’il était possible de prendre, dit-elle. Puisque les mathématiciennes sont déjà peu nombreuses, elles auront une probabilité plus forte d’être contraintes de participer à ces comités et c’est autant de temps qu’elles n’auront pas pour faire des maths, pour travailler, pour avancer. » Pour être reconnues, en somme. Car, dans les sciences en général et dans les mathématiques en particulier, la reconnaissance ne vient qu’avec les publications.

Le ministre en fut un peu vexé. Discrète et peu attirée par les feux de la rampe, la mathématicienne n’en a pas moins un caractère bien trempé, et une franchise parfois un peu abrupte. « Il est vrai que j’ai un peu de mal à ne pas dire ce que je pense », confesse-t-elle. Mais, après tout, ce petit travers est aussi une qualité.

La chercheuse Julia Kempe contribue au développement des ordinateurs du futur.

Pour Julia Kempe, chercheuse au CNRS et élue Femme en Or  cette semaine, les femmes s’interdisent trop souvent de se lancer dans les métiers scientifiques, pourtant vecteurs de «liberté et de plaisir».

Elle a un CV de douze pages, parle six langues et ses connaissances sont compilées dans deux thèses. A 36 ans, Julia Kempe, fraîchement promue Femme en Or   dans le domaine de la recherche , incarne le visage encore trop méconnu de la science au féminin.

Son «profil atypique» a retenu l’attention du jury qui «s’étonnait que l’on n’ait pas plus parlé d’une scientifique qui a quand même reçu le prix Irène Joliot-Curie en 2006». Le Trophée de la femme en or est donc autant une «consécration» pour ses travaux menés en informatique qu’un «coup de pouce» pour aider l’ascension professionnelle de la scientifique, explique-t-on du côté des organisateurs.

Le gène des maths, Julia Kempe le porte dans son ADN depuis toute petite. Pour cette Berlinoise aux trois nationalités française, allemande et israélienne -, l’héritage familial a été déterminant. Ses parents scientifiques ont largement balisé son terrain de jeux numériques : «Je leur demandais souvent d’imaginer des puzzles mathématiques pour que je puisse les résoudre», se souvient-elle. La méthode marche puisqu’elle rafle tous les concours de logique pendant ses années de collège et lycée, qu’elle passe en ex-RDA.

«Une question de caractère»

Quoi de plus naturel, avec de telles prédispositions, que de s’engager dans des études de maths et de physique ? Sur les bancs de l’Université de Vienne, en Autriche, elle dit avoir côtoyé «un pays traditionnel où les filles sont moins encouragées à étudier les sciences qu’en France.» Au cours de sa carrière, sa condition de femme ne lui a pourtant jamais porté préjudice. Si les profils féminins ne sont pas légion en sciences, c’est aussi «une question de caractère», insiste-t-elle. «Elles n’osent pas, parce que la recherche a la réputation d’être très prenante, donc difficilement conciliable avec la vie de famille. Mais la science, c’est avant tout de la liberté et du plaisir, les femmes sont faites pour ça !», assure-t-elle. Avec le temps, une chercheuse peut même faire son miel de son statut de femme : «Nous sommes rares, alors on se souvient plus facilement de nous, on nous invite plus souvent aux congrès.»

Sa marotte depuis quinze ans : les calculs quantiques. Elle y a consacré deux thèses, réalisées en quatre ans pour le compte de l’Université Berkeley, aux Etats-Unis et l’école ParisTech. A terme, les algorithmes qu’elle développe pourraient permettre de concevoir les ordinateurs du futur, des machines quantiques très puissantes.

Ses contacts à l’Université de Berkeley lui auraient permis d’envisager une carrière outre-Atlantique, mais Julia Kempe ne fait pas partie de ces chercheurs attirés par l’eldorado américain. Depuis 2001, elle officie au laboratoire informatique d’Orsay, sous la houlette du CNRS, et elle y trouve son compte. Vantant «la grande liberté que cette maison donne aux chercheurs», elle apprécie ses horaires très souples, qui lui permettent de travailler la nuit lorsqu’elle «ne trouve pas d’idées le jour» et une obligation d’enseignement réduite a minima avec seulement trois heures de cours hebdomadaires. Une approche qui n’est pas celle des Etats-Unis, «qui fonctionne plus par objectifs» et où le quota d’heures d’enseignement est plus important. «Moi je voulais du temps pour mes recherches et puis la science fondamentale ne doit pas dépendre de plannings.»

Depuis quelques mois, Julia Kempe a cependant moins les mains libres : «J’attends un enfant pour le mois de septembre», confie-t-elle. Alors la future mère aménage son train de vie, reste un peu plus chez elle, correspond par email au lieu de se déplacer… La trentenaire a bien conscience qu’une naissance peut représenter un obstacle pour une carrière de scientifique : «Je l’ai vu chez des collègues qui ont eu un enfant juste après leur thèse.» Un moment critique selon elle, où le chercheur doit produire beaucoup d’efforts pour faire connaître son travail et gagner la reconnaissance de ses pairs. «Heureusement pour moi, je ne commence pas ma carrière», lâche-t-elle.

Une mathématicienne hors norme, combattons les clichés!

Sophie Germain, femme mathématicienne au génie méconnu

Alicia Filks vous présente Sophie Germain, une femme mathématicienne du XVIII ème siècle qui a lutté contre la société de son temps pour imposer ses travaux.

sophie germain

Dans la vie, je fais des maths. Chacun ses tares, me direz-vous : il n’empêche que je kiffe. Seulement voilà… au fur et à mesure que mon compteur Bac+n s’incrémentait, j’ai pu constater que le ratio femmes/hommes de mes promos s’amenuisait dangereusement. Si bien que je me suis assez vite retrouvée à être la seule fille au sein d’une classe de matheux.

Et croyez-moi, on se sent parfois bien seule . J’admets qu’entre mes cours de théorie des nombres et de cryptographie symétrique, ou même d’histoire des mathématiques, la question « Mais elles sont où, bon sang, toutes les nanas qui font des maths ? » ne me venait pas si souvent à l’esprit. Et c’est bien dommage !

Du coup, j’ai souhaité vous parler de ma rencontre accidentelle avec une mathématicienne de renom. Comme ça, quand on vous demandera d’un ton condescendant « Attends, mais hormis Marie Curie tu peux me citer une femme de sciences qui a changé le monde ? », vous pourrez répondre plus facilement sans l’aide de Google.

Ma rencontre avec Sophie Germain

Quand je dis que cette rencontre était accidentelle, je n’exagère rien.

Sophie Germain, je l’avais croisée à plusieurs reprises : une rue de Paris porte son nom, tout comme une certaine catégorie de nombres premiers que je manipule régulièrement. Remarquez, ça aurait pu me mettre la puce à l’oreille, en mode « Youhouuuu y a des NOMBRES qui s’appellent comme une MEUF, t’as pas envie d’en savoir plus ? », mais que voulez-vous, je m’attachais plus à leur manipulation parce qu’ils sont un petit peu relous à trouver. Y a même un cratère de Vénus qui porte son nom ! Malgré tout cela je ne m’étais jamais intéressée de plus près au personnage de Sophie Germain : pour moi, c’était un nom, sans plus.

Et puis un jour j’ai changé de fac et j’ai eu cours dans un bâtiment appelé Sophie Germain. Un bâtiment de maths. J’ai donc posé mon sac deux secondes (après je l’ai ramassé, faut pas déconner, il est crade le parvis de la fac), j’ai bu une gorgée de mon thé d’un air songeur — le même que celui du flic qui arrive sur une scène de crime dans une série américaine des années 2000. Je me suis cramé la langue et j’ai pensé « Hmmmm… C’est qui elle, j’ai déjà entendu son nom quelque part… » (oui, bon, je ne maîtrise pas vraiment l’art de la punchline mentale non plus).

La machine était lancée ! J’ai filé dans la salle de cours, et j’ai googlé, googlé, googlé jusqu’à plus soif (de thé). Et j’ai découvert un drôle de bout de femme.

bernadette the big bang theory

Eh beh dis donc.

Sophie Germain, c’est un peu Mulan, mais en France

Sophie Germain est née à Paris en 1776 et a montré très tôt un goût certain et un talent fou pour les mathématiques. À l’âge de 13 ans, la jeune fille lit l’histoire de la mort d’Archimède ; on raconte que c’est parce qu’elle était émue par ce récit qu’elle a pris la décision de devenir mathématicienne. Ses parents ne kiffaient pas trop l’idée que leur progéniture femelle s’intéresse aux mathématiques, et dans un premier temps ils se sont employés à la dissuader de poursuivre dans cette voie.

Elle s’est donc chargée elle-même de son éducation mathématique toute son adolescence. Du fin fond de ses couettes, en pleine nuit et à l’insu de ses parents, la jeune fille apprend, lit les travaux d’Euler ou de Newton, refait des preuves dans son coin… Si bien qu’à l’aube de ses 20 ans, ses parents, et surtout son père, finissent par accepter de l’aider à s’instruire.

Le problème, c’est qu’à l’époque, la meilleure école mathématique en France n’est autre que l’École Polytechnique, qui vient tout juste d’être créée. Pourquoi c’est un problème ? C’est une école militaire, donc réservée aux hommes. Qu’à cela ne tienne : Sophie Germain réussit quand même à subtiliser des notes de cours donnés à l’X (autre petit nom de l’Ecole Polytechnique).

À l’époque, il n’y avait bien sûr ni scanner, ni photocopieuse et encore moins d’Internet pour lui faciliter la tâche — tout juste des pigeons voyageurs, et encore… Pour y arriver, elle s’est fait passer pour un ancien élève de l’École, Antoine Auguste Leblanc. Cet élève est d’ailleurs décédé quelques années plus tard, et Sophie Germain a gardé son nom.

Mais ça ne s’arrête pas là. Soucieuse de s’améliorer, et parce que la communication et les échanges sont primordiaux pour les mathématiciens, elle décide, sous son nom d’emprunt, de communiquer ses remarques et ses idées à l’un des piliers des mathématiques du dix-neuvième siècle, Joseph-Louis Lagrange, alors professeur à l’École Normale. Il s’agit de l’autre école où l’on peut faire des maths de haut niveau, qui tout comme Polytechnique vient tout juste d’être créée — merci la Révolution !

Une mathématicienne d’exception

Les deux mathématiciens entament alors une longue correspondance. L’intelligence de ce monsieur Leblanc intrigue tellement Lagrange qu’il le convoque… Et se rend compte du subterfuge de la jeune femme. Plutôt que de s’indigner d’avoir été berné de la sorte, il choisit de la soutenir dans ses travaux, admiratif devant le courage dont cette femme fait preuve.

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(Presque) Sophie Germain.

Par la suite, elle est amenée à étudier un problème très célèbre par sa difficulté, le Grand Théorème de Fermat (qui vient tout juste d’être résolu, il y a quelques années, après trois siècles de prises de tête) et entame donc une correspondance, toujours sous le nom de Leblanc, avec Karl Friedrich Gauss.

Si ce nom ne vous dit rien, je vous invite à demander à un•e de vos ami•e•s qui fait un peu de maths de vous expliquer le théorème de Gauss. Il y a de grandes chances pour que, les yeux humides et la lèvre inférieure tremblante, il ou elle vous demande « … Lequel ? ». Vous pouvez aussi consulter cette micro liste ; dites- vous bien qu’ils ne sont pas tous répertoriés.

Gauss apprécie grandement sa correspondance avec ce monsieur Leblanc. Et croyez-moi : ce mec, pour l’impressionner, il fallait envoyer du pâté, quand on sait qu’il était réputé pour envoyer bouler nombres de mathématiciens qui, des étoiles dans les yeux, lui présentaient le résultat de plusieurs années de recherches pour finalement se faire laminer d’un « Hmm ? Ah ouais, j’avais démontré ça il y a dix ans mais c’est pas intéressant en fait comme résultat ».

Quand Napoléon envahit la Prusse, Sophie Germain, soucieuse du sort du professeur, charge un général de sa connaissance de la protection de son ami. Ce général finit par dévoiler la véritable identité de la jeune femme, ce qui amène Gauss à lui écrire cette lettre, commençant ainsi :

« Mais comment vous décrire mon admiration et mon étonnement à voir mon estimé correspondant Monsieur Le Blanc se métamorphoser en cet illustre personnage qui donne un si brillant exemple de ce que j’aurais trouvé difficile à croire. Le goût pour les sciences abstraites en général et surtout pour les mystères des nombres est fort rare : on ne s’en étonne pas ; les charmes enchanteurs de cette sublime science ne se décèlent dans toute leur beauté qu’à ceux qui ont le courage de l’approfondir.

Mais lorsqu’une personne de ce sexe, qui, par nos mœurs et par nos préjugés, doit rencontrer infiniment plus d’obstacles et de difficultés, que les hommes, à se familiariser avec ces recherches épineuses, sait néanmoins franchir ces entraves et pénétrer ce qu’elles ont de plus caché, il faut sans doute, qu’elle ait le plus noble courage, des talents tout à fait extraordinaires, le génie supérieur. »

Mulan peut aller se rhabiller ! (Non en vrai, tu restes mon héroïne Disney préférée.)

Concernant le Grand Théorème de Fermat, alors qu’à l’époque tout espoir semblait perdu concernant sa résolution, la mathématicienne parvient à établir le premier résultat significatif.

Puis Sophie Germain délaisse les mathématiques pures pour s’intéresser à la physique ; elle se prend d’ailleurs régulièrement la tête avec Poisson, un de ses contemporains, qui ne prend pas les résultats de la jeune femme au sérieux. Et pourtant ! Son mémoire sur les vibrations des plaques élastiques (des tambours, si on veut enlever le blabla scientifique) va jeter les bases de la théorie modernes de l’élasticité.

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Une profession qui lui sera refusée jusqu’au bout

Et c’est un peu ça, la carrière de Sophie Germain. Elle ne sera jamais vraiment prise au sérieux par la majorité de la communauté scientifique, et sera un mouton noir de la société avec son statut de femme savante, un personnage moqué et dénigré. On lui reproche son manque de rigueur et sa tendance à la dispersion, alors qu’elle est constamment ralentie dans ses travaux et n’est pas considérée comme un interlocuteur légitime par ses homologues masculins.

mary downton abbey

Elle est tellement marginalisée dans la société qu’elle restera une charge à vie pour sa famille : elle ne s’est jamais mariée et ne peut pas gagner sa croûte avec ses recherches, n’étant pas considérée comme une véritable scientifique.

Elle est cependant la première Académicienne à obtenir son titre autrement que par un statut marital. Ses travaux en Théorie des Nombres et des Surfaces ont changé le paysage scientifique de son époque — ses résultats sont d’ailleurs encore mis à contribution de nos jours. C’est la seule personne pour qui Gauss se battra afin qu’elle obtienne un grade honorifique à l’Université de Göttingen…

Cependant l’Université ne pourra jamais lui accorder ce grade car Sophie Germain meurt d’un cancer du sein en 1831, avant la cérémonie. Et sur son certificat de décès, comme dernière ingratitude, on peut lire : « Sophie Germain, rentière-annuitante », soit femme célibataire sans profession.